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ENTRETIEN AVEC CLAIRE THOURY, PRÉSIDENTE DU MOUVEMENT ASSOCIATIF
« LE CONTRAT D’ENGAGEMENT RÉPUBLICAIN RISQUE D’AFFAIBLIR L’INITIATIVE ASSOCIATIVE »

Claire Thoury est Présidente du Mouvement Associatif depuis avril 2021 au titre d’Animafac dont elle a été la déléguée générale pendant 4 ans. Spécialiste des questions d’engagement, Claire Thoury est titulaire d’un doctorat de sociologie soutenu en 2017 intitulé ”L’engagement étudiant dans un monde d’individualisation : construction identitaire et parcours politiques” et l’auteur de plusieurs articles qui portent sur l’engagement, la vie étudiante ou les politiques de jeunesse. Elle est membre du Conseil économique social et environnemental au titre du Mouvement associatif et siège au sein du groupe des associations.
Refondation Solidarités : Vous êtes depuis quelques mois, la nouvelle Présidente du Mouvement Associatif (MA), quels sont les chantiers prioritaires de ce début de mandat?
Claire Thoury : Nous nous approchons d’un temps électoral important, la présidentielle et les législatives de 2022. Nous travaillons actuellement à la construction du plaidoyer que nous allons porter dans ce cadre. Pour le construire, nous avons décidé d’ouvrir une grande consultation à destination de toutes celles et tous ceux qui font le secteur associatif, les associations. Une fois cette étape terminée, et après que les instances du Mouvement associatif aient tranché, nous présenterons nos principales propositions et revendications, notamment le 31 janvier, lors de la la deuxième édition de Droit de Cité, la grand journée des associations et de celles et ceux qui s’y engagent, qui aura lieu à la Cité Internationale Universitaire de Paris. Tout au long de cette journée nous allons travailler, partager le plaidoyer des associations, du Mouvement Associatif, en vue du prochain quinquennat. On organisera début mars un temps d’échange avec les candidats/candidates, une sorte de moment des candidats face aux « français associatifs », échange qui sera retransmis en ligne.
Nous avons aussi un temps important en février, à Strasbourg, dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, parce que il y aura deux jours consacrés à l’ESS avec le Commissaire européen qui viendra présenter son plan pour l’ESS.
Mais au-delà des échéances de calendrier, pour le Mouvement Associatif, il y a un travail de renforcement des mouvements associatifs régionaux qui est en cours. Il y aussi le travail d’ouverture du MA qui se poursuit puisque il y a eu en 2019 une réforme statutaire qui permet à davantage d’associations d’adhérer au MA, il faut poursuivre cette dynamique, pour continuer à embarquer largement les associations derrière un projet global et avancer collectivement afin de poursuivre le travail en cours.
Refondation Solidarités : Nous sommes à 4 mois des élections présidentielles, quel bilan tirez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron pour le secteur associatif ?
Claire Thoury : Quand on compare objectivement ce que l’on a demandé et ce que l’on a pu obtenir, on a eu un certain nombre de choses. Mais le problème c’est que cela reste des mesurettes. Donc c’est toujours un peu à côté. On a eu un peu plus de moyens pour le Fonds de développement de la vie associative (FDVA), mais ce n'est pas parce que l’Etat a augmenté les moyens, c’est parce que l’Etat à fléché les excédents des comptes inactifs vers le FDVA. Donc nous avons eu certaines choses, nous avons été reçus, il y a une interlocution régulière avec le gouvernement. Par contre quand on regarde de plus près, il n’y a pas véritablement de politique associative, ce sont des mesures ici ou là, c’est peu coordonné, pas assez ambitieux, et donc décevant. Nous, nous voulons une politique ambitieuse pour la vie associative.
Refondation Solidarités : Et pour cela vous pensez qu’il faudrait quoi ? Un ministère dédié à ces questions spécifiquement ?
Claire Thoury : Cela ne règle pas tout, c’est qu’il faut c’est un portage politique du sujet, quelqu’un à l’écoute des acteurs dans une volonté de co-construire. Est ce que cela passe par un ministère dédié à la question associative, je ne sais pas si c’est cela la réponse, mais pour que cela soit efficace il faut un ministère qui est un poids politique fort et qui soit bien placé dans l’organigramme gouvernemental, un ministre qui se batte pour les associations, qui soit convaincu que les associations apportent des choses considérables au pays, aux individus, et que pour cela il faut les aider et les considérer comme des acteurs incontournables du dialogue civil pour la bonne santé démocratique.
Refondation Solidarités : Chaque année, est célébrée la journée mondiale du Bénévolat le 05 décembre. Selon certaines associations, le secteur associatif sort renforcé de la crise sanitaire, un renforcement qui se traduit par un afflux plus important de bénévoles. Est ce que vous partagez cette vision optimiste ?
Claire Thoury : Je n’ai pas une vision pessimiste, mais ce n’est pas aussi simple. Les associations ont beaucoup souffert de la crise sanitaire, et cette souffrance s’exprime de deux manières. D’un côté, certaines associations ont été beaucoup sollicitées sur le plan sanitaire, social, mais pas seulement. Elles ont été en première ligne dès le départ de cette crise et donc il y a un épuisement très fort puisque ça ne s’arrête pas. Et d’un autre côté, les activités ont été réduites à cause des mesures sanitaires, et il a fallu se réinventer, penser à une autre manière de fidéliser les membres.
Lors de notre troisième enquête Covid-19 au printemps 2021, il ressort une vraie préoccupation des associations de ne pas voir revenir leurs adhérents. Pour essayer de répondre à cela, nous avons lancé une campagne « Mon association, je l’adore j’y adhère » avec Hexopée et le soutien de la Secrétaire d’Etat en charge de la vie associative, afin de sensibiliser le grand public à la nécessité de revenir dans les associations.
Sur la question du bénévolat, on ne peut pas dire qu’il y a eu un regain du bénévolat, c’est plutôt une mutation de celui-ci qui s’observe, avec une diminution du bénévolat des plus âgés. Dans certaines communes où les associations sont essentiellement gérées par des personnes âgées, on observe une vraie difficulté à renouveler la gouvernance. Et il y a, dans le même temps, une hausse du bénévolat chez les plus jeunes, mais un bénévolat qui prend des formes différentes, auxquelles il faut s'adapter parce qu’ils n’ont pas envie des mêmes choses, pas nécessairement les mêmes aspirations, ne souhaitent pas forcément prendre des responsabilités dès leur arrivée dans une structure; ce qui pose aussi des questions pour le renouvellement de la gouvernance des structures associatives.
Refondation Solidarités : La Charte d’engagements réciproques signée entre l’Etat, le Mouvement Associatif et les représentants des collectivités territoriales en 2001 a été actualisée en 2014. Quel bilan tire le Mouvement associatif de cette initiative ? Doit-on aller plus loin, doit-on penser à des mécanismes plus contraignants pour toutes les parties ?
Claire Thoury : La Charte est un instrument très positif. Tout est dit dans cet instrument, et pour le coup c’est le fruit d’un processus réel de co-construction entre les pouvoirs publics et les associations. Néanmoins, nous aurions pu être meilleurs dans la déclinaison de la charte. Elle n’est pas déclinée partout, elle l’est de plus en plus dans les territoires mais pas suffisamment, et elle est assez peu déclinée sectoriellement puisqu’il existe à ce jour une charte signée avec le Ministère de la Culture et une autre avec le Ministère de la Justice. Donc nous avons un bon outil, mais que nous arrivons difficilement à faire vivre, cela fait partie des choses sur lesquelles nous devons travailler dans les prochains mois.
Refondation Solidarités : De nombreuses associations sont confrontées au manque croissant de financements, et donc contraintes de passer par la logique d’appel à projet (AAP), ce qui accentue la concurrence entre acteurs associatifs. Selon vous comment faire pour réduire la part des AAP, quels autres mécanismes sont envisageables ?
Claire Thoury : Il est indispensable de conforter la subvention, parce que la subvention cela préserve, donne des perspectives, surtout quand celle-ci est pluriannuelle. Elle facilite aussi l’initiative associative, l’enjeu est de permettre aux associations d’être en capacité d’innover, et pas seulement d’être là pour répondre à des projets contraints qui ne laissent aucune place à l’imagination et l’innovation. Quand on regarde à travers l’histoire, si les associations n’avaient pas été là plusieurs fois pour porter un projet, une idée, une initiative et être un peu décalées à certains moments, on n’en ne serait pas là aujourd’hui : cela est vrai pour le droit des femmes, pour le climat et beaucoup d’autres sujets. C’est dangereux de mettre en péril l’initiative associative à cause des financements ou à cause d’un nouvel outil que nous allons tous devoir signer bientôt qui s’appelle le contrat d’engagement républicain.
Refondation Solidarités : Les associations représentent des atouts non négligeables lors des grandes crises; pendant la crise sanitaire, le secteur associatif a multiplié les actions pour aider les plus vulnérables. Quelles leçons doivent tirer les pouvoirs publics afin que le secteur associatif soit pris en compte dans la co-construction des politiques publiques ? Mais aussi dans la garantie des financements afin de pérenniser les actions et soutenir cette force positive que représente le monde associatif au sein de notre société?
Claire Thoury : Une de nos propositions c’est « l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle en faveur d’une politique ambitieuse de développement de la vie associative ». Cela fait partie des choses que l’on demande pour avoir des financements dédiés, et parce que ce projet de loi pluriannuel doit permettre un temps de co-construction avec les pouvoirs publics sur la politique de la vie associative qui sera portée.
La question des pouvoirs publics n’est pas suffisante, ne nous contentons pas de penser seulement vis à vis des pouvoirs publics, comment ils vont nous aider, comment faire pour qu’ils nous aident davantage, car c’est très épuisant. Nous l’avons vu ces dernières années, nous avions un plaidoyer de qualité, des interlocuteurs qui répondaient, mais on obtient assez rarement ce que l’on veut ou alors de façon très saupoudrée et donc peu satisfaisante.
L’enjeu c’est celui d’embarquer beaucoup plus largement les citoyennes et les citoyens sur la question associative, que l’on mette en lumière la force associative, que l’on renforce le travail de conviction et de pédagogie déjà en cours, pour réenchanter le collectif et faire prendre conscience aux personnes engagées qu’elles font partie d’une communauté qui est beaucoup plus large.
Refondation Solidarités : Le maillage associatif est très fort, il y a donc une richesse réelle mais tellement peu prise en compte notamment pour la construction des politiques publiques, qui au final sont très verticales dans leur processus de construction. On ne prend pas assez en compte l’avis du secteur associatif.
Claire Thoury : On ne le prend pas du tout en compte ! Récemment la Loi visant à conforter les principes de la République a été votée. C’est une loi qui impose de nombreuses choses mais notamment la signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations subventionnées ou agréées. Tout cela a été fait de façon unilatérale par le Gouvernement, c’est une mesure contraignante vécue comme une forme de défiance par le secteur associatif. Et je trouve cela consternant que cette loi arrive pendant la crise sanitaire, pendant laquelle les associations ont été et continue à être en première ligne, à répondre à des besoins qui n’auraient pas été pourvus sans elles. Il y a des injonctions contradictoires qui traduisent une vraie méconnaissance des pouvoirs publics; mais pas seulement, des citoyens aussi, sur ce que sont les associations, quel est leur rôle, à quoi elles servent, en quoi est ce qu’elles sont indispensables au bon fonctionnement démocratique, au vivre ensemble, aux liens sociaux, au fait qu’elles sont créatrices d’emplois, qu’elles accompagnent la transition écologique. Il y a une méconnaissance de ce que nous sommes, nous sommes perçus soit comme des délégataires de services publics, ce que l’on peut être parfois mais notre rôle ne peut pas se résumer à cela, soit comme des structure de solidarité, ce que nous sommes aussi, mais le secteur associatif ne se résume pas à de l'entraide. Il y a derrière le projet associatif une dimension très politique qu’il faut partager largement.
Refondation Solidarités : Comment souhaitez vous engager ce travail de prise de conscience ?
Claire Thoury : Il s’agit surtout de le poursuivre ! A travers des consultations, les campagnes de communication, les évènements que nous organisons, la journée Droit de Cité. L’idée c’est d'être visible de la manière la plus importante possible dans le débat public. Cette stratégie passe aussi par le renforcement de nos membres mais aussi par l’ouverture du Mouvement associatif déjà en cours par rassembler plus largement autour du projet politique que nous portons. C’est un travail diffus, progressif et qui heureusement est déjà en cours.
Refondation Solidarités : Un des sujets de votre plaidoyer lors des échéances électorales prochaines sera donc le contrat d’engagement républicain …
Clare Thoury : Nous allons sans doute demander l’abrogation du contrat d’engagement républicain. Il ne faut pas se méprendre, il ne s’agit évidemment pas pour nous de remettre en question les valeurs de la république ou de les contester, ce n’est pas le sujet. En revanche, on craint les effets de bord. Les associations, à plusieurs moments de l'histoire, ont été sur une ligne de crête, elles ont été un peu dans la légalité et un peu en dehors de la légalité, mais sans vraiment l'être non plus. Et c’est comme ça -en étant parfois dérangeantes, en posant des sujets compliqués, en le faisant de manière provocante- qu’elles ont réussi à faire évoluer les principes et les lois. On craint aujourd’hui que ce contrat affaiblisse l’initiative associative pourtant si essentielle au bon fonctionnement démocratique.